Comment s’inspirer du rugby pour mieux manager

La Coupe du Monde de Rugby bat son plein. Les valeurs de ce sport ne sont plus à démontrer. Si bien qu’elles peuvent être interrogées pour être source d’enseignement, notamment au sein des entreprises. Et si le manager devenait un véritable coach pour ses équipes ? Les réponses de Charlotte Ringrave, spécialiste des sujets management, coopération et inclusion au sein du cabinet AlterNego.

Le rugby est associé à une grande convivialité. C’est justement le mot qui est sur toutes les lèvres depuis la rentrée professionnelle. La convivialité a-t-elle vraiment sa place en entreprise ?

Elle est fondamentale ! En effet, nous sommes des êtres sociaux. Aussi, pour beaucoup le lien social, l’ambiance au travail, les relations sont de facteurs d’engagement très puissants au travail. D’autre part, nous sommes tous interdépendants, et dans beaucoup d’organisations, la coopération est de mise ! Soit pour faire ce que l’on ne pourrait pas faire tout seul, soit pour s’améliorer et faire mieux, soit pour innover ou faire autrement. Dans tous les cas, on a besoin des autres pour réussir. Or, il me semble difficile de développer la confiance, l’entraide, et donc la coopération, sans convivialité. Il est donc primordial d’être en interactions et de construire de bonnes relations. Enfin, il me semble urgent de réinventer et réinvestir l’espace physique du bureau pour se voir, échanger, partager et créer.

Pour le monde du travail doit-il, selon vous, s’inspirer des valeurs du rugby ?

Au-delà de l’inclusion, du fair-play et du respect de tous les participants, le rugby peut inspirer la vie de bureau à travers ses principes d’agilité, de cohésion, de solidarité, d’esprit d’équipe… Des leviers essentiels au développement de l’engagement et de la motivation au travail !

Pour les entraîneurs, construire une équipe c’est d’abord rassembler des individus autour d’un même projet, clairement défini. Est-ce si facile d’appliquer cette conduite au bureau ?

Non, ce n’est pas si facile. On ne réfléchit pas tous pareil et il faut s’adapter en permanence. Coopérer, ça s’apprend ! Faire équipe autour d’un projet commun c’est avant tout une histoire d’inclusion. Prenons une métaphore, en dehors du sport cette fois, imaginons que la diversité des individus soit représentée par des instruments de musique. L’inclusion, c’est se demander comment mettre en mouvement ces instruments ? Comment les réunir en orchestre ? Comment faire pour que cet orchestre sorte quelque chose de musical et harmonieux ? Il faudra d’abord un chef d’orchestre en capacité de donner et d’assumer le cap, des partitions (à savoir les politiques et les stratégies, les actions mises en œuvre, …) et surtout, de l’écoute entre les différents musiciens interdépendants. Pour jouer au bon tempo, via la bonne tonalité.

Au rugby, on coopère avec les autres pour un seul objectif : gagner. C’est ainsi que les joueurs se sentent reconnus. Cela semble plus excitant qu’obtenir une récompense salariale…

Je ne suis pas sûre que gagner sportivement soit nécessairement plus excitant qu’obtenir une récompense salariale. La vérité c’est que chacun met dans le travail ce qu’il veut. Il semble clair que nous partageons tous la plus manifeste fonction du travail, qui repose sur la rémunération et sur l’objectif de « gagner sa vie ». Mais ce n’est pas la seule motivation ! On le sait maintenant depuis longtemps, la méthode de la carotte et du bâton n’est pas la plus efficace pour inciter les gens à accomplir leurs tâches. En effet, il existe aussi des motivations intrinsèques : ce n’est pas une récompense extérieure mais l’intérêt et le plaisir procurés par l’activité elle-même qui sont recherchés. L’engagement vient donc de la satisfaction à se sentir en phase avec ses valeurs et ses attentes. Bien au-delà de la récompense salariale, l’individu doit se sentir reconnu comme une personne unique (identité, compétences, spécificités, travail…) et en même temps, se sentir acteur d’un projet d’entreprise dans lequel il trouve une place et pour lequel il est fier de travailler.

Le sport nous apprend à révéler et accompagner les potentiels. C’est le travail des coachs. Que peuvent et doivent faire les managers en ce sens ? Sont-ils assez formés ?

Les managers ont la responsabilité d’apporter du sens, de créer les conditions de la maîtrise de l’activité (organiser le travail, accorder les ressources, débloquer les moyens) mais surtout et d’accorder le bon niveau d’autonomie aux collaborateurs. Pour qu’ils progressent, il faut donc leur confier des missions requérant de nouvelles aptitudes tout en leur permettant d’évaluer ce qui est acquis et ce qui nécessite de nouveaux apprentissages. Pour cela, comme les coachs, les managers doivent avant tout connaître leurs collaborateurs pour adapter leur style de management à leur niveau de compétences et prendre en compte les motivations et les spécificités individuelles. En vrais coachs, ils doivent se rendre disponibles et être à l’écoute de leurs attentes et besoins. Enfin, pour manager comme un coach et faire grandir ses collaborateurs : le feedback est roi ! Il reconnaît ce qu’ils ont su faire et ce sur quoi ils peuvent progresser, il permet de revenir sur le chemin parcouru mais surtout, d’engager les actions pour l’avenir.

Vous expliquez que des psychologues du sport accompagnent les joueurs de rugby pour permettre, notamment aux joueurs encore jeunes (entre 20 et 30 ans) de faire le pas de côté et de continuer d’apprendre, sur eux et sur leurs relations avec les autres. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les rugbymen, notamment du XV de France, sont accompagnés par des psychologues du sport. En effet, le coach, Fabien Galthié, a fait le pari de la « préparation mentale », pour faire la différence sur cette coupe du monde. Je le rejoins, une bonne préparation mentale me paraît fondamentale pour appréhender le vécu émotionnel. Cela permet aux joueurs de se confier, d’évacuer les émotions de gérer la pression, de travailler les défauts de confiance en soi, de trouver une place dans l’équipe et d’apprendre à travailler avec les autres et à se maîtriser face aux frustrations. En entreprise, la santé physique et psychique des collaborateurs est la responsabilité de l’employeur. Aussi, un parallèle peut se faire avec la mise en place, de plus en plus fréquente, de permanences avec le détachement sur les sites de psychologues certifiés pour accompagner le vécu émotionnel. Leur rôle consiste, en situation de marche courante, d’offrir un espace d’échange et d’écoute aux collaborateurs pour les aider à tout moment, à faire face aux situations difficiles qu’ils pourraient rencontrer, en leur proposant des outils et des méthodes spécifiques. Ils sont aussi là pour accompagner psychologiquement et/ou « déchoquer » les collaborateurs en cas de crise, d’anxiété ou de mal-être avéré.

La Fédération Française de Rugby (FFR), est à l’origine de plusieurs initiatives, inspirées des actions menées dans le monde de l’entreprise, pour promouvoir l’inclusion dans le sport en général. Racontez-nous…

Pour n’en citer que deux : la mise en place en 2002 d’une charte éthique destinée à promouvoir des comportements respectueux et inclusifs dans toutes les instances du rugby français, revue en 2017. Et plus récemment la loi visant une parité totale dans les instances dirigeantes du rugby français, par la présence de femmes dans des postes à responsabilité et en facilitant leur accès aux postes de décision, dès 2024.

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